Discours prononcé à Brest le 30 mai 1936 lors de l’inauguration de l’Ecole Navale par M. François Piétri, Député de Corse de 1924 à 1940, Ministre des Colonies du 3 novembre 1929 au 13 décembre 1930 dans les gouvernements André Tardieu (1) et André Tardieu (2), Ministre des Communications du 12 juillet au 6 septembre 1940 dans le gouvernement Pierre Laval (5), Ministre de la Marine du 1er juin 1935 au 4 juin 1936 dans les gouvernements Fernand Bouisson, Pierre Laval (4) et Albert Sarraut (2)
Monsieur le Président de la République,
La Marine vous est reconnaissante d'avoir voulu inaugurer vous-même l'Ecole où se formeront désormais ses jeunes chefs.
Cette Ecole vient au jour comme un enfant tendrement attendu. Grâce à votre parrainage solennel, c'est la nation tout entière qui se sera penchée sur son berceau et qui aura salué, d'un geste de ferveur et de foi, sa destinée naissante.
En autorisant, en 1929, la construction de cet édifice, le Parlement mettait fin à la longue querelle technique qui, en France comme ailleurs, avait divisé les partisans de l'école flottante et ceux de l'école à terre.
Peut-être en a-t-il secrètement coûté au traditionalisme des marins de renoncer au vieux vaisseau de bois qui, durant près d'un siècle, avait abrité dans ses flancs vénérables les études et les rêves de tant de générations d'officiers.
Il s'en trouvera encore pour penser que le génie mystérieux de la mer habite plus volontiers, même quand elle est immobile, la carène d'un navire que les murs d'un palais, pour regretter que le rude apprentissage de la vie à bord ne doive plus s'accompagner de l'épreuve familière des haubans ou du tangon, mais aussi de la prière quotidienne aux couleurs, prélude des croisières désirées, pieux appel d'une France rayonnante et lointaine.
En rompant avec cette formule, mes prédécesseurs ne faisaient que céder, à la vérité, aux besoins d'une instruction que la savante complexité de la marine moderne a si profondément transformée. La conduite de la guerre navale a cessé d'être un art pour devenir une science impérieuse et multiple, et l'éducation de ceux qui s'y destinent ne peut plus se confiner dans le décor fictif d'un bâtiment à voiles, comme au temps où la navigation pure et l 'abordage faisaient le fond d'un métier que l'expérience ou la hardiesse dominaient jalousement. Dressée sur ce promontoire fameux et tout chargé d'histoire, exemplaire imposant de l'art architectural français, la nouvelle Ecole Navale se présentera aux navigateurs comme l'annonce d'une volonté aussi durable que les rocs qui la supportent : celle de maintenir la puissance maritime de ce pays, condition majeure de sa sécurité, de son expansion et de son prestige.
Tel est donc, messieurs, le signe fortuné sous lequel les jeunes pensionnaires de cette école commenceront une carrière que d'autres avaient vu naître dans le doute ou l'impatience, en sorte que l'étoile d'or, symbole de gloire, qui sert d'emblème à leur collège, devient pour eux l'astre d'un matin nouveau et d'une confiance retrouvée.
Tout à l'heure, monsieur le Président, vous regardiez défiler, devant les statues de Suffren et de Duquesne, leurs aînés immortels, ces marins de demain... Ils tournaient vers vous, qui personnifiez ensemble la Patrie et l'Etat, leur fier regard.
Mais il ne faudrait pas croire que la flamme d'une jeunesse ardente et qui marche à sa destinée neuve fût la seule à briller dans leurs yeux.
La jeunesse et la mer, c'est vrai, sont de merveilleuses compagnes. Elles se ressemblent et sont faites pour s'unir. L'immensité de l'horizon, son mystère, l'attrait de l'aventure, et jusqu'au caprice des vagues, tout ce qui touche à la mer exalte la jeunesse et nourrit son rêve éternel de nouveauté et de mouvement.
Chateaubriand, touché par l'amertume des souvenirs, ne trouvait pas mieux, pour célébrer un passé perdu, que de le replacer dans le décor resplendissant de la mer.
Vous vous rappelez l'inoubliable page des "Mémoires" :
« La jeunesse est une chose charmante. Elle part au commencement de la vie, couronnée de fleurs, comme la flotte athénienne pour conquérir la Sicile et les délicieuses campagnes d'Enna... »
Messieurs, pour les hommes de vingt ans qui ont passé devant vous, ce romantisme naval n'est qu'une récréation secondaire... Ils chérissent la mer parce qu'elle est le champ d'une vertu plus haute.
Ce qu'ils portent sur leurs fronts, c'est la vieille et muette résolution des officiers de la marine de France, dont l'exemple six fois séculaire les remplit d'un tranquille orgueil. Ils n'ont pesé ni les profits, ni les misères d'un métier à choisir. Ils sont venus ici par !a force d'une vocation qui les a saisis tout enfants et qui s'est emparée de leurs premiers songes...
Ils savent pourtant que l’avenir, quand il n'est pas incertain, est pour le moins avare ; que quelques-uns d'entre eux, à peine, accéderont aux étoiles ; que la plupart, ayant longuement et durement servi, quitteront leur navire à l'âge même où, dans d'autres carrières, l'ambition n'est qu'à son début. Ils savent surtout que ce métier qu'ils aiment, et qu'ils aiment souvent malgré lui, est celui du hasard et du danger... Je ne parle point de la guerre et de son hécatombe universelle, encore que, pour les marins, qui combattent sur un abîme, il n'y ait, quand le sort les atteint, ni rémission, hélas ! ni sépulture. Mais les embûches de la mer seront déjà le lot redoutable de leur vie courante. Combien, parmi ces jeunes officiers, sont guettés par elles et courent à une fatalité qu'ils défient ! Oui sait si certains d'entre eux, accrochés à leur passerelle, ne consommeront point le vieux rite d’héroïsme que leur impose le catéchisme de la mer,
Celui qu'appliquaient, au sortir même de l'Ecole, Bisson, mettant le feu aux soutes, ou Morillot, sombrant avec son vaisseau vide ?
Oui, certes, il existe une ferveur de la mer aussi soudaine que l'amour, aussi durable que la foi. Mais, quand elle se mêle au besoin de servir, elle forme ce corps exceptionnel, resté pareil à lui-même dans les remous de notre histoire, sourd aux appels et aux passions du dehors, fidèle à son constant idéal, enfermé dans le dogme impérieux qu'ont fixé pour toujours les tables de la loi et qui confond inséparablement la Patrie et l'Honneur.
[DOC]Monsieur le Président de la République,
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Discours prononcé à Brest le 30 mai 1936 ... Monsieur le Président de la République, ... Tout à l'heure, monsieur le Président, vous regardiez défiler, ...
mercredi 14 novembre 2007
lundi 5 novembre 2007
Alfred de Vigny.- Les Destinées
Depuis le premier jour de la création,
Les pieds lourds et puissants de chaque Destinée
Pesaient sur chaque tête et sur toute action.
Chaque front se courbait et traçait sa journée,
Comme le front d’un bœuf creuse un sillon profond
Sans dépasser la pierre où sa ligne est bornée.
Ces froides Déités liaient le joug de plomb
Sur le crâne et les yeux des Hommes leurs esclaves,
Tous errants sans étoile en un désert sans fond ;
Levant avec effort leurs pieds chargés d’entraves,
Suivant le doigt d’airain dans le cercle fatal,
Le doigt des Volontés inflexibles et graves.
Tristes Divinités du monde Oriental,
Femmes au voile blanc, immuables statues,
Elles nous écrasaient de leur poids colossal.
Comme un vol de vautours sur le sol abattues,
Dans un ordre éternel, toujours en nombre égal
Aux têtes des mortels sur la terre épandues,
Elles avaient posé leur ongle sans pitié
Sur les cheveux dressés des races éperdues,
Traînant la femme en pleurs et l’homme humilié.
Un soir, il arriva que l’antique planète
Secoua sa poussière. - Il se fit un grand cri :
« Le Sauveur est venu, voici le jeune athlète ;
« Il a le front sanglant et le côté meurtri,
Mais la Fatalité meurt au pied du Prophète ;
La Croix monte et s’étend sur nous comme un abri ! »
Avant l’heure où, jadis, ces choses arrivèrent,
Tout homme était courbé, le front pâle et flétri ;
Quand ce cri fut jeté, tous ils se relevèrent.
Détachant les nœuds lourds du joug de plomb du Sort,
Toutes les nations à la fois s’écrièrent :
« Ô Seigneur ! est-il vrai ? le Destin est-il mort ? »
Et l’on vit remonter vers le ciel, par volées,
Les filles du Destin, ouvrant avec effort
Leurs ongles qui pressaient nos races désolées ;
Sous leur robe aux longs plis voilant leurs pieds d’airain,
Leur main inexorable et leur face inflexible ;
Montant avec lenteur en innombrable essaim,
D’un vol inaperçu, sans ailes, insensible,
Comme apparaît au soir, vers l’horizon lointain,
D’un nuage orageux l’ascension paisible.
- Un soupir de bonheur sortit du coeur humain ;
La terre frissonna dans son orbite immense,
Comme un cheval frémit délivré de son frein.
Tous les astres émus restèrent en silence,
Attendant avec l’Homme, en la même stupeur,
Le suprême décret de la Toute-Puissance,
Quand ces filles du Ciel, retournant au Seigneur,
Comme ayant retrouvé leurs régions natales,
Autour de Jéhovah se rangèrent en chœur,
D’un mouvement pareil levant leurs mains fatales,
Puis chantant d’une voix leur hymne de douleur
Et baissant à la fois leurs fronts calmes et pâles :
« Nous venons demander la Loi de l’avenir.
Nous sommes, ô Seigneur, les froides Destinées
Dont l’antique pouvoir ne devait point faillir.
« Nous roulions sous nos doigts les jours et les années :
Devons-nous vivre encore ou devons-nous finir,
Des Puissances du ciel, nous, les fortes aînées ?
« Vous détruisez d’un coup le grand piège du Sort
Où tombaient tour à tour les races consternées :
Faut-il combler la fosse et briser le ressort ?
« Ne mènerons-nous plus ce troupeau faible et morne,
Ces hommes d’un moment, ces condamnés à mort,
Jusqu’au bout du chemin dont nous posions la borne ?
« Le moule de la vie était creusé par nous.
Toutes les Passions y répandaient leur lave,
Et les événements venaient s’y fondre tous.
« Sur les tables d’airain où notre loi se grave,
Vous effacez le nom de la Fatalité,
Vous déliez les pieds de l’Homme notre esclave.
« Qui va porter le poids dont s’est épouvanté
Tout ce qui fut créé ? ce poids sur la pensée,
Dont le nom est en bas : Responsabilité ? »
Il se fit un silence, et la Terre affaissée
S’arrêta comme fait la barque sans rameurs
Sur les flots orageux, dans la nuit balancée.
Une voix descendit, venant de ces hauteurs
Où s’engendrent, sans fin, les mondes dans l’espace ;
Cette voix de la Terre emplit les profondeurs :
« Retournez en mon nom, Reines, je suis la Grâce.
L’Homme sera toujours un nageur incertain
Dans les ondes du temps qui se mesure et passe.
« Vous toucherez son front, ô filles du Destin !
Son bras ouvrira l’eau, qu’elle soit haute ou basse,
Voulant trouver sa place et deviner sa fin.
Alfred de Vigny
Alfred Victor, comte de Vigny
27 mars 1797 - 17 septembre 1863
« Il sera plus heureux, se croyant maître et libre
En luttant contre vous dans un combat mauvais
Où moi seule, d’en haut, je tiendrai l’équilibre.
« De moi naîtra son souffle et sa force à jamais.
Son mérite est le mien, sa loi perpétuelle :
Faire ce que je veux pour venir où je sais. »
Et le chœur descendit vers sa proie éternelle
Afin d’y ressaisir sa domination
Sur la race timide, incomplète et rebelle.
[...]
Webgraphie
Les pieds lourds et puissants de chaque Destinée
Pesaient sur chaque tête et sur toute action.
Chaque front se courbait et traçait sa journée,
Comme le front d’un bœuf creuse un sillon profond
Sans dépasser la pierre où sa ligne est bornée.
Ces froides Déités liaient le joug de plomb
Sur le crâne et les yeux des Hommes leurs esclaves,
Tous errants sans étoile en un désert sans fond ;
Levant avec effort leurs pieds chargés d’entraves,
Suivant le doigt d’airain dans le cercle fatal,
Le doigt des Volontés inflexibles et graves.
Tristes Divinités du monde Oriental,
Femmes au voile blanc, immuables statues,
Elles nous écrasaient de leur poids colossal.
Comme un vol de vautours sur le sol abattues,
Dans un ordre éternel, toujours en nombre égal
Aux têtes des mortels sur la terre épandues,
Elles avaient posé leur ongle sans pitié
Sur les cheveux dressés des races éperdues,
Traînant la femme en pleurs et l’homme humilié.
Un soir, il arriva que l’antique planète
Secoua sa poussière. - Il se fit un grand cri :
« Le Sauveur est venu, voici le jeune athlète ;
« Il a le front sanglant et le côté meurtri,
Mais la Fatalité meurt au pied du Prophète ;
La Croix monte et s’étend sur nous comme un abri ! »
Avant l’heure où, jadis, ces choses arrivèrent,
Tout homme était courbé, le front pâle et flétri ;
Quand ce cri fut jeté, tous ils se relevèrent.
Détachant les nœuds lourds du joug de plomb du Sort,
Toutes les nations à la fois s’écrièrent :
« Ô Seigneur ! est-il vrai ? le Destin est-il mort ? »
Et l’on vit remonter vers le ciel, par volées,
Les filles du Destin, ouvrant avec effort
Leurs ongles qui pressaient nos races désolées ;
Sous leur robe aux longs plis voilant leurs pieds d’airain,
Leur main inexorable et leur face inflexible ;
Montant avec lenteur en innombrable essaim,
D’un vol inaperçu, sans ailes, insensible,
Comme apparaît au soir, vers l’horizon lointain,
D’un nuage orageux l’ascension paisible.
- Un soupir de bonheur sortit du coeur humain ;
La terre frissonna dans son orbite immense,
Comme un cheval frémit délivré de son frein.
Tous les astres émus restèrent en silence,
Attendant avec l’Homme, en la même stupeur,
Le suprême décret de la Toute-Puissance,
Quand ces filles du Ciel, retournant au Seigneur,
Comme ayant retrouvé leurs régions natales,
Autour de Jéhovah se rangèrent en chœur,
D’un mouvement pareil levant leurs mains fatales,
Puis chantant d’une voix leur hymne de douleur
Et baissant à la fois leurs fronts calmes et pâles :
« Nous venons demander la Loi de l’avenir.
Nous sommes, ô Seigneur, les froides Destinées
Dont l’antique pouvoir ne devait point faillir.
« Nous roulions sous nos doigts les jours et les années :
Devons-nous vivre encore ou devons-nous finir,
Des Puissances du ciel, nous, les fortes aînées ?
« Vous détruisez d’un coup le grand piège du Sort
Où tombaient tour à tour les races consternées :
Faut-il combler la fosse et briser le ressort ?
« Ne mènerons-nous plus ce troupeau faible et morne,
Ces hommes d’un moment, ces condamnés à mort,
Jusqu’au bout du chemin dont nous posions la borne ?
« Le moule de la vie était creusé par nous.
Toutes les Passions y répandaient leur lave,
Et les événements venaient s’y fondre tous.
« Sur les tables d’airain où notre loi se grave,
Vous effacez le nom de la Fatalité,
Vous déliez les pieds de l’Homme notre esclave.
« Qui va porter le poids dont s’est épouvanté
Tout ce qui fut créé ? ce poids sur la pensée,
Dont le nom est en bas : Responsabilité ? »
Il se fit un silence, et la Terre affaissée
S’arrêta comme fait la barque sans rameurs
Sur les flots orageux, dans la nuit balancée.
Une voix descendit, venant de ces hauteurs
Où s’engendrent, sans fin, les mondes dans l’espace ;
Cette voix de la Terre emplit les profondeurs :
« Retournez en mon nom, Reines, je suis la Grâce.
L’Homme sera toujours un nageur incertain
Dans les ondes du temps qui se mesure et passe.
« Vous toucherez son front, ô filles du Destin !
Son bras ouvrira l’eau, qu’elle soit haute ou basse,
Voulant trouver sa place et deviner sa fin.
Alfred de Vigny
Alfred Victor, comte de Vigny
27 mars 1797 - 17 septembre 1863
« Il sera plus heureux, se croyant maître et libre
En luttant contre vous dans un combat mauvais
Où moi seule, d’en haut, je tiendrai l’équilibre.
« De moi naîtra son souffle et sa force à jamais.
Son mérite est le mien, sa loi perpétuelle :
Faire ce que je veux pour venir où je sais. »
Et le chœur descendit vers sa proie éternelle
Afin d’y ressaisir sa domination
Sur la race timide, incomplète et rebelle.
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